• 29 mars 2024

Emprunts toxiques : dormez bien, messieurs les banquiers, le contribuable local paiera !

ministeredesfinancesPar Sylvain Berrios – Pour le gouvernement, la cause est entendue. L’intérêt des banques prime : les communes ne pourront plus faire valoir leurs droits devant les tribunaux dans les affaires d’emprunts toxiques.

Pourtant, dès 2013, les tribunaux de grande instance de Paris et Nanterre se sont prononcés sur des contentieux opposant la banque Dexia au Conseil général de Seine-Saint-Denis et à la commune de Saint-Maur. Suivant une jurisprudence constante, les tribunaux ont estimé que les banques n’avaient pas respecté le code monétaire et financier lorsqu’elles avaient poussé les collectivités territoriales à souscrire des prêts structurés – avantageux pendant une courte période, dite de taux bonifiés, très dangereux par la suite.

Ces communes, dont certaines ont obtenu la substitution du taux d’intérêt légal au taux d’intérêt conventionnel, seront donc privées de la possibilité d’obtenir réparation alors qu’elles sont aujourd’hui soumises à la volatilité de taux pouvant à tout moment être multipliés par 10 pendant 30 ans…

Telle est la volonté du gouvernement qui a fait voter à la hâte une loi de validation, procédure peu usitée consistant à légaliser un acte reconnu illégal par un juge. Grâce à ce procédé, qui foule aux pieds l’indépendance de la justice autant que le principe de séparation des pouvoirs, le gouvernement ferme la porte aux actions en justice des acteurs publics contre les banques, les privant de facto de tout moyen d’action.

On est alors en droit de se demander pourquoi. Pourquoi le gouvernement passe-t-il outre le droit des communes en invoquant un « motif impérieux d’intérêt général » qu’il peine à justifier ?

Certes, en quelques mois, le nombre d’assignations a augmenté. Mais le risque de multiplication des contentieux est faible puisque les faits sont souvent prescrits. Autrement dit, le voudraient-elles que de nombreuses communes ne pourraient plus saisir les tribunaux. Si le risque s’éloigne, pourquoi légiférer en urgence ?

Car, au fond, les banques n’avaient pas le couteau sous la gorge : elles auraient été contraintes de payer une fois seulement les procédures d’appel épuisées – un risque que l’on ne saurait qualifier d’imminent vu la lenteur des procédures judiciaires. De surcroît, en cas de condamnation, le poids supporté par les banques aurait couru sur les 20 ou 30 ans que durent les emprunts. Une charge supportable lissée dans le temps.

Pourtant, dans une opération de communication plutôt bien menée, le gouvernement nous assure que la généralisation des décisions de justice viendrait à provoquer la déroute des banques et, par ricochet, des finances de l’Etat. Qu’Angela Merkel risquerait de retirer son soutien frileux aux engagements économiques de François Hollande, que la France serait vertement sanctionnée par la Commission Européenne, bref que le pays ne s’en relèverait pas. Rien de moins ! Ce faisant le gouvernement semble oublier que les comptes des collectivités viennent consolider les comptes de la nation et que, par conséquent, personne ne sera dupe de la manœuvre.

Une étude d’impact produite par le gouvernement, pour le moins imprécise, s’efforce de corroborer ce risque systémique en invoquant une enveloppe-record de 17 milliards, le risque de faillite de certaines banques majeures et l’Etat contraint d’abonder… Mais le gouvernement reste désespérément muet sur la situation des établissements de crédit que couvre le champ de la loi, puisque toutes les banques sont concernées au-delà de Dexia et la SFIL, au point que l’on pourrait bien douter de la réalité du risque. Mieux, dans le débat parlementaire, le rapporteur du projet de loi indique un risque en réalité réduit à 3,5 milliards d’euros.

Dans une pirouette finale, l’Etat assure « résoudre la crise des prêts structurés » en venant en aide aux acteurs locaux grâce à la mise en place d’un fonds de compensation qui couvre à peine 10% des sommes en jeu et pour lequel l’Etat fixe des conditions d’accès draconiennes. Les acteurs locaux n’ont qu’à bien se tenir !

Mais la ficelle est un peu grosse : de quel droit l’Etat s’autorise-t-il à négliger l’intérêt des dizaines d’acteurs publics qui ont été lésés et dont les administrés devront payer les frais ? De quel droit s’exonère-t-il aujourd’hui de responsabilités qu’il a choisi de prendre en recapitalisant la banque Dexia ?

Son rôle n’est-il pas plutôt d’être aux côtés des acteurs locaux, comme le préconisait la commission d’enquête parlementaire qui, à l’unanimité de ses membres de droite comme de gauche, suggérait le plafonnement des taux dans le cadre d’une négociation encadrée par l’Etat, puis une « intervention législative » pour plafonner les taux d’intérêt et les indemnités de sortie de prêts ?

Car le plus curieux dans cette affaire est que le gouvernement a déjà pris des engagements. Non pas auprès des collectivités locales, principales victimes des emprunts toxiques, mais auprès des banques concernées, dont les commissaires aux comptes ont reçu la garantie que la loi serait votée et que les procédures judiciaires seraient éteintes. Une aubaine !

La réalité c’est que le gouvernement entretient, dans cette affaire, un lien consanguin avec les banques. Il offre une amnistie à Dexia dont la justice venait de reconnaître la responsabilité, et use d’une mesure confiscatoire pour reporter le coût des emprunts toxiques sur les acteurs locaux. Dormez bien, messieurs les banquiers, le contribuable local va payer !

Le gouvernement oublie sans doute que les acteurs locaux impliqués ont toujours au-dessus de la tête l’épée de Damoclès d’emprunts qui peuvent les asphyxier du jour au lendemain, au risque de les mettre en faillite. Et que, pour ces acteurs qui supportent le risque, un passage en force du gouvernement ne suffira pas : tous les recours juridiques, jusqu’aux instances supranationales, seront utilisés pour faire reconnaître les droits des collectivités territoriales et des citoyens dans cette affaire.

Au-delà des enjeux financiers, il est aussi question de droit.

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